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#1 15-05-2014 15:38:39

mbuna
I don't know you

L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Je vous propose de vous présenter mes lectures issues de cette période « miraculeuse » pour moi. L’âge d’Or de la SF se situe entre les années 20 à la fin des années 50, et essentiellement (à ma connaissance) aux Etats Unis. Cette période a fait émerger des auteurs devenus classiques, au milieu d’innombrables textes de qualité pour le moins…..variables.

Par ce que ce qui caractérise aussi cette période c’est la production de quantité astronomiques de nouvelles, de ce fait on peut affirmer sans complaisance qu'il y'a boire et à manger. Ca tombe bien, moi j'aime bien boire et manger smile
Ah oui, par ce que ce qui a permis notamment cette émergence, vous le ressentirez au fil de mes présentations, c’est le support (journaux) qui a eu un impact très fort sur les histoires puisque devant se dérouler en quelques pages, à un rythme très soutenu pour ne pas perdre le lecteur. D’où d’ailleurs une continuelle surenchère pour faire dans le sensationnel, engendrant ainsi tous les clichés que l’on connait tous depuis… les petits hommes verts, les martiens attaquent, les pulp, les space babes, Capitaine Proton pour ne citer que ceux-là.

Bon, je ne veux pas vous faire une présentation de cette période (ca va finir par être raté), par ce que je ne veux pas faire « l’historien » -que je ne suis pas- mais plutôt avoir l’œil du lecteur (ce qu'en revanche je suis fondamentalement.. vu la tonne de bouquins que je lis et relis de cette période) en vous présentant quelques fois un livre, ou un auteur, ou une anthologie, un groupe de nouvelles, un cycle... Enfin bon on verra selon ce qui me tombe sous la main. Si d’autres veulent alimenter le fil ce sera avec un énorme plaisir, n’hésitez surtout pas smile

Je prépare mon 1er et je reviens quand c’est fait.

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#2 15-05-2014 17:55:32

mbuna
I don't know you

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Pour commencer, j’aimerais vous parler d’un auteur qui me tient particulièrement à cœur, car il personnalise à lui seul ce fameux âge d’or dans ce qu'il a de meilleur : Fredric Brown.
2327.jpg


Assez peu connu en dehors des USA il me semble, il est considéré là-bas comme un maitre dans un sous-genre très prisé : la micro-nouvelle.
Kesako ?

Comme son nom l’indique, il s’agit de petites histoires ne dépassant pas quelques pages, afin de pouvoir être utilisé au mieux sur le support phare de l’époque. La micro nouvelle est ce que l’on trouve quantitativement le plus dans les années 20/50. C’est un sous-genre qui de part sa rapidité de lecture a développé des « codes » bien à lui. Par exemple on y trouve souvent un humour, une ironie, dans des styles très directs (logique faut faire vite) et épuré. Et surtout, on attend toujours une chute qui se doit d’être originale (inattendue, humoristique, tendancieuse, etc.).
Dans une micro nouvelle, tout concourt à la chute, en caricaturant un peu c’est presqu’uniquement celle-ci qui fait ou non la qualité de l’histoire. Elle dirige sa structure narrative.
Or Fredric Brown est un maitre incontesté du genre, car il cumule dans ses histoires 2 qualités : l’humour omniprésent (auto dérision, ironie) et un second sens de lecture très riche en jonglant magistralement avec les peurs et les travers de son époque.

Il a écrit dans d’autres genres (policier notamment) et s’est essayé aux romans (dont un Chef d’œuvre reconnu comme un grand classique : Martiens, go home ! C’est vrai qu’il est littéralement génial d’humour et de dérision, voir acerbe en egratignant tour à tour tous les poncifs et clichés de son propre genre.
Mais le lui préfère personnellement L’Univers en folie qui est encore un cran au dessus dans la satyre puisque pour le coup, totalement auto-parodique.  Je pense que ce livre fera l’objet d’un post bien à lui plus tard.

Par ce qu’en fait, tout ce post pour parler d’une micro-nouvelle géniale, et qui se place dans la catégorie de mes "péchés mignons" : L’expérience. Je vous en supplie, n’allez pas voir sur le net le résumé puisqu’à tous les coups il va spoiler la chute. Cette nouvelle a tout ce que je demande : plusieurs sens de lecture à en faire tourner ses neurones, alliée à une simplicité confondante et une inéluctabilité de la chute a posteriori. Et vous avez bien compris que dans ce genre, si on connait la chute on a tout perdu… Cette nouvelle parle de paradoxe de voyage dans le temps (special Yrad et DrAg0r wink ), elle fait à peine 3 pages de livre de gare et donc se lit en 2 minutes. Vous voyez, lire le résumé du truc faut vraiment avoir envie de flinguer son plaisir….

Je n’en dis donc pas plus, à part qu’on peut trouver cette nouvelle dans 2 bouquins à ma connaissance :
Lune de miel en Enfer (un recueil d’une 20aine de ses meilleures nouvelles, délicieux et génial)
lune-de-miel-en-enfer.jpg
Ou La grande anthologie de la science fiction : histoires de voyages dans le temps
cvt_Histoires-de-voyages-dans-le-temps_8437.jpeg

Dans les 2 cas, cette nouvelle se situe au milieu de magnifiques autres histoires, c'est aussi un peu pour cela que j'ai commencé par cet auteur. D'ailleurs je vous présenterai l’anthologie un de ces jours j'espère. Si vous voulez connaitre un peu l'auteur, vous choisissez le 1er, sinon le 2ème pour avoir une vision plus large.

De quoi accéder au bonheur ultime en 3 clics et moins de 10 euros… que demander de plus ?

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#3 15-05-2014 18:15:55

mbuna
I don't know you

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Ah hum et tiens j'ai oublié tout de même de vous dire..
L'une de ses micro-nouvelle se nomme... Arena. Cela ne vous rappelle rien ? Eh bien ce n'est pas un hasard, l'épisode étant directement issu de cette nouvelle.

Alors petit message perso et un tantinet sarcastique à qui se reconnaitra (hi hi hi) : pour bien comprendre TOS, il ne faut absolument pas le dénaturer en oubliant ses racines, par ce que ce serait en perdre sa substance et un angle de compréhension sinon le plus essentiel mais au moins au 1er plan des importances à mon humble avis. TOS est fille direct de l'âge d'or de la Science-Fiction, et par extension en fait partie elle aussi. Lorsqu'on a ca à l'esprit, on ne peut plus voir la mécanique du technoblabla ou Capitaine Proton par exemple comme des facilités ou du Charabia inepte, non c'est LE langage du genre, il y'a une vraie histoire derrière qui fait partie de l'ADN de ST.

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#4 15-05-2014 23:22:32

yrad
admin

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Excellente initiative, Mbuna ! thanks

Ahhh... voici exactement le topic que je désirais lancer depuis que je suis membre ! Hélas j'ai toujours honteusement procrastiné... devant l'ampleur cyclopéenne de la tâche ! Il y a tant et tant à écrire sur l'Âge d'or de la SF que ça donne proprement le vertige. sink

Alors à défaut d'embrasser vraiment ce référent cardinal, je me contentais de truffer mes posts d'allusions (implicites ou explicites) aux auteurs & aux œuvres du Golden Age littéraire... qui est ni plus ni moins la matrice épistémologique de ST TOS (loin devant Horatio Hornblower rolleyes) et davantage encore de ST VOY (en raison de son nouvellisme très prononcé et de sa SF ultra-conceptuelle).

Bref, un fil "root"... pour une bonne cure de désintox contre les ravages de la fantasy ! mdr


« Science fiction is the most important literature in the history of the world, because it's the history of ideas, the history of our civilization birthing itself. Science fiction is central to everything we've ever done, and people who make fun of science fiction writers don't know what they're talking about. »
Feu Ray Bradbury

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#5 16-05-2014 09:16:51

DrAg0r
Dra'ghoH

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

yrad a écrit :

Excellente initiative, Mbuna ! thanks

Oh oui ! Voilà pour moi l'occasion d'enrichir considérablement ma bien trop pauvre culture S-F littéraire.


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#6 16-05-2014 11:13:23

mbuna
I don't know you

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

yrad a écrit :

Il y a tant et tant à écrire sur l'Âge d'or de la SF que ça donne proprement le vertige. sink

En effet ! C'est pour cette raison que je vais le faire en mode "lecteur", tout en distillant de temps en temps quelques remises dans le contexte. En fait je vais essayer de suivre la mode Dvmy avec ses coins du cinéphile.


Pour ceux qui seraient intéressés par l'anthologie de la SF (le 2ème bouquin de mon post plus haut), je dois vous prévenir de l'existence dans ce recueil d'une nouvelle qui a fait date : La patrouille du temps. Et là on a à faire à du lourd, du très lourd, et même du très très lourd mdr : Poul Anderson.
Panderson00.jpg

Bon, il est un peu hors périmètre puisque ses années les plus prolifiques sont plutôt des années 60 à 80, mais d'une part cette nouvelle date de 1955, et d'autre part son style en fait un parfait exemple de ce qu'on peut trouver au milieu du 20ème siècle. Il est très simple à lire, il fourmille d'idées, et même peut-être trop parfois.
C'est à dire que ses romans commencent souvent de manière très bien cadrés, et plus on avance, plus les idées s'enchainent, se croisent, et le lecteur prend tout cela comme des uppercuts à chaque page. Je sors souvent de ses bouquins totalement vidé, on sent qu'il lâche beaucoup de choses, cela fourmille, la structure des livres en prend quelques fois un peu dans le lard mais c'est totalement jouissif si on entre dans son jeu.

En fait, ce serait plutôt un style space-opera qu'anticipation. Avec Anderson on ne s’embarrasse pas de descriptions ni de blabla, tout est dans les situations qui s'enchainent, avec un réel goût du décalage. il adore les comiques de situations, les rencontres totalement improbables, et les effets directs d'une cause. Pas le temps de souffler.


De ce fait, cet auteur aux 30 idées par pages a été beaucoup influent et source d'inspiration encore actuellement. Un petit exemple ? Avatar de Cameron qui vient du bouquin Call me Joe d'Anderson.
12602403.jpgn3885.jpg

Pour sa bio, je vous laisse aller sur le Net, il a notamment été récompensé environ des milliards de fois (comme 7 fois le Prix Hugo, quand je vous dis que c'est du lourd....), et un impact énorme sur les auteurs jusqu'à aujourd'hui. On les comprend, vu les idées qu'il a développées ou même seulement énoncées et laissées en chemin. D'ailleurs vous savez, lorsque je vois la mode actuelle des reboots, remakes etc, montrant un manque flagrant d'idées au cinéma, je ne peux pas m'empêcher de penser que ce sont probablement des gens qui ne connaissent rien du genre dont ils entendent se proclamer. L'âge d'or fourmille d'idées, souvent à l'état embryonnaire (comme dans les micro-nouvelles wink) non encore utilisées. On est presque devant un puits sans fond. Je comprends Yrad lorsqu'il dit qu'il y'a tant de choses à dire sur cette époque. C'est très difficile de l'aborder, il y'a tellement de choses à dire et à creuser. Mais alors si vous aimez la SF, la vraie, vous rendez-vous compte de votre chance de savoir que vous en avez pour votre vie entière de découvertes ?

Allez, le petit défaut de cet auteur ? Ses livres dans la forme ont quelques fois du mal à passer les décennies (dans un livre il parle du bloc communiste au 26ème siècle...). Mais c'est un peu l'inconvénient de sa qualité, il ne s’embarrasse pas d'une volonté historique sérieuse, son objectif est de balancer ses idées et les mettre en scène de manière à nous emporter très vite dans son Univers. Un livre d'Anderson se lit d'une traite. Un vrai style space-op vous dis-je.


Bon donc bref, tout ça pour vous parler de la patrouille du temps mdr
Cette nouvelle de 1955 a un synopsis très sympathique : Le héros est recruté par les hommes d'un lointain futur afin de surveiller des points du temps bien précis. Pour Anderson, il y'a une grosse inertie des évènements historiques. S'il y'a une modification apportée, a priori le temps finira par effacer cette modification. C'est tout le contraire de l'effet papillon. Seuls certains points du temps considérés comme des carrefours sont à surveiller pour éviter de tout foutre en l'air (et donc potentiellement de rayer de l'histoire ces humains du futur). vous comprenez l'idée ? C'est cette vision assez originale pour l'époque des mécaniques temporelles vis-à-vis de notre ligne qui a fait en partie son succès.
Mais alors il faudra obligatoirement qu'un de ces jours je vous parle d'un livre d'un autre auteur qui reprend cette idée de manière indépassable et magistrale : La fin de l’éternité d'Asimov. Mais là attention, par ce que si vous commencez par ce bouquin, vous risquez de ne plus rien vouloir lire après, tellement ce livre construit et déconstruit toute cette mécanique. Au final, tout est dans le titre.
Asimov-fin-ternit-.jpg

Mais revenons plutôt à Anderson et cette nouvelle. son succès énorme a poussé Anderson a en écrire d'autres de manière empirique et finalement à bâtir très vite (en 5 ans) une épopée multi-millénaire à tomber par terre. Son style très direct, sans fioriture lui a permis de construire des histoires énormes en finalement peu de pages. Avec un style d'aujourd'hui je n'ose même pas imaginer les pavés pour raconter la même chose.


Allez je m'arrête là pour aujourd'hui, par ce que le pavé c'est moi qui suis en train de le construire mdr
Tu as raison Yrad, il est très difficile de garder une ligne directrice. Va falloir que je sois plus sérieux à l'avenir.

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#7 16-05-2014 13:47:43

mypreciousnico
Why ?

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Effectivement une très bonne idée Mbuna !

J'ai moi même été très lecteur de nouvelles de Sf de l'âge d'or quand j'étais gamin et j'ai dévoré des bouquin comme la Grande Anthologie de la SF et plus généralement des anthologie de Jaques Sadoul (notamment Une histoire de la science-fiction dont le tome 1 ou 2 traite de l'âge d'or).
C’est toute mon enfance de lecteur, il faudra que je me replonge (avec délice) la dedans smile

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#8 16-05-2014 14:27:36

scorpius
Nowhere Man

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Je suis moi-même un grand fan des anthologies de Jacques Sadoul smile sur les conseils de mon paternel elle m'ont servis de guide dans ma découverte de la sf littéraire (c'est à la fois riche, complet mais aussi parfaitement accessible).

J'essairai d'alimenté ce topic, le problème étant que j'ai souvent du mal à donner forme à mon ressenti post-lecture, du coup pour évité de raconté des platitudes je m'abstiens, mais ouais je vais essayer de faire un effort.

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#9 16-05-2014 14:57:55

mbuna
I don't know you

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Chouette si ce sujet vous plait et vous donne envie de participer, n'hésitez surtout pas smile

Et je te comprends Scorpius, finalement on est beaucoup à avoir ce problème. Le moment où on lit un livre, c'est un échange entre le lecteur et l'auteur, un moment finalement assez intime et qui laisse énormément place à l'imaginaire du lecteur. Normal on est obligé de mettre soi-même en image ce qu'on nous raconte. On donne beaucoup plus de soi en lecture qu'en cinéma par exemple. En ciné tout le monde voit et entend la même chose.
C'est donc plus difficile à mon sens de parler d'un bouquin et de faire partager son ressenti. On part de bien plus loin...

Par exemple je pense que mon prochain post (attention spoiler mdr ) concernera Sturgeon. Mais j'avoue que là je ne sais pas du tout comment l'aborder, étant donné la place très particulière qu'il tient dans le milieu de la SF, dans mon esprit aussi, avec ses bouquins remplis d'une émotion et d'une construction (ou plutôt d'une déconstruction) des relations humaines, entre la SF et la sociologie.... Peut-être le meilleur d'entre tous, adoré ou détesté... bon enfin bref je te comprends Scorpius mdr

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#10 16-05-2014 19:13:04

yrad
admin

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Succulente mise en bouche, Mbuna. ok
Si une passion aussi communicative n'incite pas les forumeurs à se précipiter chez leur libraire attitré dès ce soir, alors c'est à désespérer de tout ! miam

Pour le moment, Mbuna, je suis à 100% d'accord avec tes analyses et tes appréciations de ces œuvres mythiques et de ces auteurs prophétiques. wink
A l'exception toutefois de ceci :

mbuna a écrit :

Mais alors il faudra obligatoirement qu'un de ces jours je vous parle d'un livre d'un autre auteur qui reprend cette idée de manière indépassable et magistrale : La fin de l’éternité d'Asimov. Mais là attention, par ce que si vous commencez par ce bouquin, vous risquez de ne plus rien vouloir lire après, tellement ce livre construit et déconstruit toute cette mécanique. Au final, tout est dans le titre.

Je suis aussi fan que toi d'Isaac Asimov (et ce n'est pas peu dire love). Mais paradoxalement La fin de l'éternité est probablement celui de ses romans que j'aime le moins ! Car il s'agit d'une charge, d'une philippique, d'un éreintement, pour ne pas dire d'un règlement de compte... assez idéologique pour le coup (rare chez Asimov). Car cet auteur de SF génialissime (oui génialissime, j'insiste !) avait le gros défaut (nul n'est parfait ! tongue) de détester cordialement la thématique du voyage dans le temps... dont il tente de se débarrasser conceptuellement une bonne fois pour toute dans ce bouquin... qui aurait très bien pu se nommer "Pour en finir avec l'absurdité du voyage dans le temps" ! terminated
Or comme je suis un raide dingue des paradoxes temporels (carrément comme finalités en soi et non pas seulement comme prétextes édificateurs ou allégoriques)... il est aisé de deviner l'effet (ultra-négatif) que produit sur moi La fin de l'éternité. mdr

mbuna a écrit :

L'âge d'or fourmille d'idées, souvent à l'état embryonnaire (comme dans les micro-nouvelles wink) non encore utilisées. On est presque devant un puits sans fond. Je comprends Yrad lorsqu'il dit qu'il y'a tant de choses à dire sur cette époque. C'est très difficile de l'aborder, il y'a tellement de choses à dire et à creuser. Mais alors si vous aimez la SF, la vraie, vous rendez-vous compte de votre chance de savoir que vous en avez pour votre vie entière de découvertes ?

Mais c'est aussi le "problème", surtout en lançant un topic de ce genre... suicide
Témoigner équitablement du Golden Age, cela demande littéralement une vie entière. Même pas, une vie entière n'y suffirait pas ! Bien des anthologistes célèbres s'y sont d'ailleurs perdus. Car je puis l'affirmer sans ambages, il n'existe PAS UNE SEULE idée de SF développée (à l'écrit ou en audiovisuel) depuis les années 70 qui n'ait été imaginée, parfois structurée, le plus souvent ébauchée dans le gisement cosmique foisonnant du Golden Age. [Oui, oui, j'inclus les années 60 dans l'Age d'or pour diverses raisons, notamment internationales (mais pas seulement), car il faut prendre en compte le traditionnel décalage entre les USA et les restes du monde créatif.]
Le vertige que j'évoquais plus haut, c'est celui de ne JAMAIS parvenir au bout de l'exploration : même lorsqu'on croit avoir lu tous les écrits d'un auteur, ou toutes les publications sur un thème SF... eh bien on réussit à en trouver encore, et encore, et encore... Comme une plongée géologique dans des strates sédimentaires vivantes qui se reconstitueraient au fur et à mesure que l'on s'enfoncerait.
C'est en fait un sentiment d'engloutissement perpétuel que connaissent bien les théologiens chrétiens qui commettent "l'erreur" de se spécialiser dans la patristique, c'est à dire l'étude herméneutique des textes des Pères de l'Eglise (rien à voir avec la Bible qui fait figure de ticket de métro en comparaison).
Eh bien le Golden Age, c'est justement ça (mais à l'échelle de notre "religion" à nous) : les textes fondateurs des Pères de la SF. pray praise


« Science fiction is the most important literature in the history of the world, because it's the history of ideas, the history of our civilization birthing itself. Science fiction is central to everything we've ever done, and people who make fun of science fiction writers don't know what they're talking about. »
Feu Ray Bradbury

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#11 19-05-2014 11:52:49

mbuna
I don't know you

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Yrad a écrit :

Mais paradoxalement La fin de l'éternité est probablement celui de ses romans que j'aime le moins !

Ah oui comme tu le sais je suis un fou d'Asimov, je vais très vite faire un post sur la fin de l'éternité, je te répondrai à ce moment là si tu veux bien smile



Par ce que Amok Time vous avez vu ?
Le Pon Farr ça vous dit quelque chose ?
Shore Leave vous vous souvenez ?
La prime directive vous voyez de quoi je veux parler ?

Quel est le point commun à tout ça? Réponse : Théodore Sturgeon.
theodore-sturgeon-007.jpg


Bon alors vous qui me lisez, vous vous êtes peut-être échoués ici par erreur mdr, je ne sais pas si vous êtes vraiment intéressés par la SF littéraire et l’âge d’or, en revanche a priori vous l’êtes par Star Trek. Sinon bon OK vous pouvez partir.
Par ce que si vous ne devez lire vraiment qu’un post jusqu’au bout sur ce fil, franchement choisissez celui-ci. Faites-moi confiance smile

Sturgeon est un paradoxe, une personne à multiples facettes et si j’arrive à bien m’expliquer vous finirez même par comprendre que seul lui pouvait à la fois inventer le Pon Farr et une histoire comme Shore Leave.
Avec Sturgeon on entre vraiment dans de la Littérature avec un grand L. Voilà bien l’exemple type d’un écrivain qui n’aura jamais la vraie reconnaissance qu’il mériterait d’avoir en dehors de la soi-disante sous-littérature qu'est la Science-fiction (d'ailleurs documentez-vous sur la loi de Sturgeon mdr ). La plupart d’entre vous ne le connait sûrement même pas de nom, alors qu’il est, dans le milieu de la SF littéraire reconnu comme l’un des meilleurs, voir le meilleur d’entre tous (par Philippe K Dick par exemple).
Sturgeon est un dépressif, un solitaire aux 5 mariages, sa vie est faite de rencontres et de désillusions. Il est un asocial, toute son œuvre est un miroir de sa vie et de ses difficultés relationnelles, avec des recours directs à des éléments autobiographiques.

Sturgeon est-il vraiment un paradoxe ? Par exemple, ses livres mettent en scène la misère sociale, les héros sont des victimes par ce que différents, et même leurs bourreaux sont quelque part des victimes elles-mêmes de leur propre méchanceté. Les enfances volées, malheureuses qui forment les points de départ de ses histoires nous font ressentir à quel point son esprit torturé prenait ses écrits comme exutoire. Ambiance…. Eh bien non ! Car ce qui ressort de ses livres, à chaque fois, c’est un foi dans l’âme humaine, voir une morale optimiste, on s’en sort toujours par le haut, et même lorsque la fin peut être malheureuse, Sturgeon arrive à nous faire ressentir des émotions « du bon côté ». Et ça, on le doit notamment à son style, sa manière de raconter très personnelle, comme s’il nous prenait à témoin. L’émotion n’est pas facile (pas de Pathos) mais elle ne sort jamais par hasard.

Sturgeon c’est tout le contraire d’un Clark par exemple (qui est la neutralité même), il faut rentrer dans son univers très particulier et surtout dans des émotions particulières.
Vous avez vu, je n’ai pas encore parlé de SF, mais que fait-il dans ce topic ? Sturgeon accentue les travers de ses héros par des attributs difficiles à bien interpréter, entre pouvoir psy et attributs physiques extraordinaires. Un peu à la X-Men si vous voulez mdr . Ou encore, il nous parle plus prosaîquement d’extra-terrestres, d’intelligences artificielles etc.
Mais presqu’à tous les coups, les thèmes creusés sur ces intelligences artificielles ou les extra terrestres seront ceux de problèmes de communication. D’ailleurs chez Sturgeon, les enfants différents sont un type d’extra terrestres, en ce sens qu’ils sont hors de notre monde, façonné par et pour les adultes. Effet Peter Pan quand tu nous tiens....

Alors les tensions sociales, la honte de soi vis-à-vis des autres, les tensions internes = Le Pon Farr !
Le monde merveilleux de l’enfance, les adultes prix par leurs rêves, qui lâchent leurs murs d’adultes = Shore Leave !
L’Homme obligé de montrer et prouver à tous ce qu’il est vraiment, au détriment de son ascension, en proie à la vindicte de ses semblables et à l’organisation sociale qui broie = Amok Time !
Ces règles intimes (entre soi et soi-même) qui deviennent des règles sociales (celle d’un groupe) qui deviennent des règles de société (à l’échelle planétaire) qui régissent les taux d’imprégnation des uns sur les autres, au niveau interplanétaire cela devient la prime directive !
D’ailleurs je me rends compte que je n’ai cité encore aucune de ses œuvres…

Comme tout auteur de SF de cette époque digne de ce nom, il a fait un nombre très important de nouvelles. Sa vie étant un roman en elle-même, Sturgeon doit être considéré en plusieurs périodes assez distinctes. Pendant quelques années sans rien écrire, puis redevenant prolifique. C’est normal d’ailleurs, prenant sa vie comme principal moteur, il devait vivre des choses afin de se « réalimenter » en terme de matière littéraire.

2 romans vont au bout de sa démarche:
- Les plus qu’humains, assez difficile à lire sur la fin. Sturgeon est complexe, la 3ème partie de ce livre est déroutante. Il nous prend tellement par les émotions qu’on en oublie un peu sa tête, et lorsqu’on en a besoin il est bien difficile de prendre de la hauteur. C’est pourtant la qualité que Sturgeon demande au lecteur. Et là franchement pour moi ca a coiné à la 1ère lecture. Je l’ai laissé quelques années puis suis revenu dessus pour cette dernière partie dont on retrouve à la fin toute l’humanité, comme une ode positive naissant pourtant d’un profond malheur. Mettons-nous ensemble, nous les anormaux afin de bâtir sur ces différences, et par ces handicaps, dépassons nos juges.
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- Cristal qui songe, surement le plus autobiographique de ses romans reprend une partie de ces idées, de manière bien plus intime au travers d’un enfant fragile comme tout, et qui sera sauvé en trouvant sa raison de vivre dans une solution d’une poésie admirable…
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Ces 2 romans sont des classiques de la SF, mais il ne faut pas oublier toutes ses nouvelles qui mettent, vous l’avez bien compris maintenant, les liens entre êtres différents au cœur des intrigues. Sturgeon est un écorché, émouvant et intellectuel. Il parle au cœur et à l’esprit. C’est peut-être pour cela qu’il a tant collaboré à Star Trek, dans les scenari produits ou tout ceux finalement non utilisés.

Pour commencer Sturgeon, surtout dans notre cadre à nous, je ne saurais trop vous conseiller ce bouquin :
cvt_Le-Professeur-et-lOurs-en-peluche_7286.jpeg
Il s'agit d'un recueil de nouvelles entre la SF et le fantastique, d'une admirable beauté. Il est à la fois simple et un vrai miroir de son œuvre.
Mais attention, à déconseiller à tous ceux qui pensent avoir un effet Peter Pan qui traîne, comme si vous pensez que vous vous feriez avoir sur la planète dans Shore leave par exemple....

slimages.JPG

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#12 21-05-2014 15:19:22

mbuna
I don't know you

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Pour l’instant j’ai axé mes présentations sur les auteurs - indiquant certains de leurs livres comme exemples -, cette fois-ci changeons de perspective, vous comprendrez plus tard pourquoi.

J’aimerais donc vous parler d’un livre essentiel dans l’âge d’or, marquant probablement son apogée chronologique (1945) et pour nous francophones, essentiel dans le sens où de notoriété publique c’est celui-ci qui a fait connaitre au grand public cette littérature dans l’héxagone :

Le monde des non-A d’A.E. Van Vogt.
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Voici la 4ème de couverture :
Gilbert Gosseyn a quitté sa petite ville de Floride pour se rendre dans la capitale et tenter sa chance auprès de la Machine des Jeux.A l'hôtel, il reconnaît un voisin et le salue. Ce simple geste fait basculer son quotidien dans une sorte de cauchemar. Ainsi, il apprend qu'il n'existe aucun Gilbert Gosseyn dans son petit village de Floride et que sa femme Patricia, décédée un mois plus tôt, n'est pas morte et n'a jamais été mariée ! Alors Gosseyn entreprend la plus fantastique quête qu'un homme puisse faire : celle de sa propre identité.

Il est objectivement impossible de passer ce livre sous silence lorsqu’on prétend discuter de l’âge d’or. Boris Vian ayant fait la traduction, il a aussi contribué à sa réussite en français grâce à une qualité stylistique qui me rend curieux de celle en anglais. Je n’en n’ai malheureusement pas un niveau assez élevé pour m’en rendre compte directement.

Ce livre a été révolutionnaire à plus d’un titre :
-    il mèle différents genres (SF, métaphysique, philosophique)
-    il s’inscrit dans une démarche où le lecteur va devoir ré-appréhender le sens des mots et le langage en général (j’y reviendrai)
-    véritable critique épistémologique, politique, du sens de l’histoire, etc.
-    Beaucoup d’intervenants qui agissent directement su l’histoire, faisant faire au lecteur différents zoom, des tableaux qui portent très loin son imaginaire. Le 26ème siècle de Vogt est très surprenant et déconcertant

La recherche d’identité du héros forme l’intrigue, cette quête est menée un peu comme un policier pour le héros, mais le livre n’en n’a pourtant pas vraiment la structure. Car tout en avançant dans l’histoire, ce fil rouge donne l’impression de ne pas être vraiment l’essentiel du propos. Certains passages de ce livre très découpé nous emmènent vers d’autres attraits, comme la description d’un monde fondamentalement différent du nôtre, reprenant le côté SF à bras le corps. La démarche linguistique et scientifique suivie se veut fondée sur des principes contraires au sens commun (non-aristotélicienne d’où le titre non-A) et pourtant d’une clarté sans pareille. Cette idée et sa matérialisation sont réellement magnifiques et un vrai tour de force. C'est surtout cette qualité qui a fait sortir ce livre de son carcan SF.

Bon…. Maintenant personnellement ce livre a eu un effet curieux sur moi puisque de livre de chevet dans mon adolescence, sa relecture il y'a quelques années a fait l'effet d'une douche glacée pour quelques raisons que je n'ai pas envie d'exposer ici (sauf si d'autres l'ont lu et veulent en parler).
Il n'en reste pas moins que ce bouquin est un incontournable de la période et donc au moins par curiosité il est à connaitre. Mais alors un conseil, surtout pas en 1ère lecture de cette période ! Commencez plutôt par des micro-nouvelles wink
Pour les aficionados de van Vogt et les critiques littéraires non versés dans la SF, il s'agit de son meilleur livre, faisant de Van Vogt un maitre. Oui mais ça c'était avant le drame mdr Par ce qu'il y'a 2 Van Vogt, avant les années 60 puis après.
vanvogt1957.jpgVanVogt-178.jpg
Je ne suis pas du tout un aficionados de Van Vogt 2ème mouture, je pense que vous l'aurez compris mdr .

Cet auteur a eu des fulgurances géniales dans les années 40/50. Son meilleur livre pour moi étant les armureries d’Isher de 1951, un livre sans prétention mais de la SF pure et belle, montrant à quel point il aurait du rester dans ce qu'il savait faire de mieux. Et puis pour nous, trekkers, impossible de passer sous silence un excellent livre de cette même période miraculeuse de Vogt (les années 50) dont il a été dit qu'il a beaucoup influencé le synopsis de Star Trek, ce qui à mon avis est vrai : La Faune de l'espace
faune_de_l_espace.jpg


Par ce que Van Vogt a été très prolifique avec une gloire énorme durant ces années là puis s’est perdu dans des expériences intellectuelles qui ont fortement appauvri sa créativité. D'ailleurs le monde des non-A est le 1er livre d'un cycle dont le dernier a été écrit dans les années 80, mais je ne vous en fais pas la publicité, c'est au dessus de mes forces mdr

Il s'est perdu d’abord dans la dianétique (précurseur de la scientologie), puis dans une curieuse manière d’imaginer ses livres futurs. Il a voulu rendre sa façon d’écrire logique, mathématique, en reprenant ses idées et les rationalisant dans des œuvres auto-plagiaires. Van Vogt s’est pastiché lui-même. D’un auteur très créatif, avec une manière d’écrire très originale, promis à la production d’une œuvre à l’égale de celle d’Asimov, il s’est pour moi suicidé en tant qu’auteur lorsqu’il a tenté de rationaliser tout cela pour devenir une machine à écrire.

Le monde des non-A est essentiel à découvrir, mais pas pour une première lecture du genre à mon sens. Il gagnera beaucoup à être replacé dans son contexte littéraire et historique et au milieu d’une biographie de l’auteur pour les lecteurs d'aujourd'hui.

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#13 22-05-2014 14:45:36

matou
modérateur

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Une question, il y a-t-il des auteurs français dans cet age d'or?

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#14 22-05-2014 15:04:15

yrad
admin

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

matou a écrit :

Une question, il y a-t-il des auteurs français dans cet age d'or?

Oui, mais à plus petite échelle : Pierre Boulle, René Barjavel, Jacques Sternberg, Jacques Spitz, Philippe Curval, Pierre Barbet, Jean Ray, André Maurois, Maurice Renard, Peter Randa, B. R. Bruss (ces deux derniers collectionnant les pseudonymes), Ernest Pérochon, Henri Vernes, Théo Varlet, Pierre Pairault, René Pujol, Léon Groc, Alain Yaouanc, Marcel Priollet, Max-André Dazergues, Régis Messac...

Comme toujours hors du monde anglo-américain, le Golden Age à proprement parler s'est souvent exprimé avec un certain décalage horaire, d'autant plus que les écrivains hexagonaux ne pouvaient vivre de la seule SF... d'où une grande diversification ou plus exactement une non-spécialisation (polar, histoire, politique, fantastique... et accessoirement SF mdr).

Dans le cas particulier français, il n'est pas rare que les anthologistes fassent remonter le Golden Age jusqu'au 19ème siècle - voire avant - étant donné le caractère historiquement séminal de la littérature française en matière de SF - mais une SF qui s'ignorait encore (Voltaire, Louis-Sébastien Mercier, Cyrano de Bergerac, Villiers de L'Isle-Adam, Jules Verne...).

Et tout ça, c'est sans compter les auteurs de BD franco-belge qui furent aussi - de leur côté - de vrais pionniers de la SF...


« Science fiction is the most important literature in the history of the world, because it's the history of ideas, the history of our civilization birthing itself. Science fiction is central to everything we've ever done, and people who make fun of science fiction writers don't know what they're talking about. »
Feu Ray Bradbury

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#15 22-05-2014 15:29:28

mbuna
I don't know you

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Oui c'est vrai, il y'a eu un courant français dans les années 60/70 très intéressant (qu'on retrouve dans les Fleuve Noir - Anticipation - par exemple).
J'aime d'ailleurs beaucoup Caroff, un auteur qui aurait pu être grand s'il avait eu plus de discipline ou d'ambition dans ses oeuvres.

La SF française post golden age fait plus penser à des bouquins de gare, je dis cela sans ironie malsaine. C'est comme les vins de table mdr , de temps en temps on tombe sur de vraies pépites. Par exemple, personnellement je voue un culte aux êtres du Néant de Caroff, et à la Saga d'Argyre de Klein (surtout les voiliers du soleil). Et puis je dois à Pierre Boule et sa planête des singes, le tilt à mes 12 ans qui m'a fait rentrer dans la SF sans en ressortir depuis. Donc bon, faut un peu que je ne me la ramène pas trop non plus mdr

Il y'a de très bons écrivains en SF française, mais je retrouve très souvent un même défaut à tous ceux-là : le manque d'ambition littéraire. Comme s'ils faisaient des bouquins en ayant conscience de faire de la littérature de seconde zone, alors qu'objectivement la matière était là. C'est tout à fait personnel comme avis hein, un ressenti surement aussi lié au fait que mes lectures principales sont ailleurs. Je suis peut être un peu lobotomisé.

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#16 23-05-2014 00:52:58

yrad
admin

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Le pays des droits de l'homme est aussi celui qui a le plus longtemps entretenu plein de préjugés infamants envers les nouvelles formes d'expression. Dans les années 30-60, la SF était considérée par nos intellectuels-donneurs-de-leçons comme un sous-genre à l'usage des attardés, tandis que la BD ne parvenait pas à se défaire de son image péjorative de littérature pédagogique pour mioches.
Et le comble, c'est qu'aujourd'hui encore – en 2014 – la majorité des professeurs français de lettres  – y compris à l'université – continuent à enfermer la SF dans un Soweto de doucereuse condescendance !!!
Alors que la SF est le méta-genre le plus riche et le protéiforme qui soit... tant il est capable, non seulement de chapeauter tous les autres genres, mais également d'en élargir les spectres sémantiques.

Oui, il est clair que durant le Golden Age, les auteurs francophones de SF souffrait du "complexe du ghetto". Ils publiaient honteusement leurs romans SF sous des pseudonymes, ou alors en leur nom mais comme simple bonus à leurs publications principales (réputées quant à elles "sérieuses" car non-SF)...

Pourtant, même si la plupart des auteurs de SF français n'ont pas eu la liberté, la motivation, ou le courage de pousser cette littérature dans des retranchements aussi élaborés que leur homologues anglo-américains, ils réussirent malgré tout à être souvent pionniers en termes d'idées et de catégorèmes SF.
Ainsi, dans le cadre d'un thème qui m'est cher, je pense tout particulièrement à René Barjavel et son fondateur Le voyageur imprudent (1943) qui, s'il n'a certes pas inventé le concept de voyage dans le temps, demeure néanmoins le tout premier écrit à avoir vraiment pris la mesure de la problématique temporelle en introduisant la notion essentielle (car corollaire) de paradoxe (et en particulier le paradoxe du grand-père qui aura fait école). C'était douze ans avant le cycle Time Patrol (1955-1995) de Poul Anderson et The End Of Eternity d'Isaac Asimov (1955 aussi) !

Pour l'anecdote pittoresque, il faut savoir que le grand romancier américain Philip K. Dick (pape de la dystopie futuriste et du cyberpunk) estimait - probablement de sa perspective psychédélique pour ne pas dire défoncée - que la France était le plus grand pays de la SF ! lol


« Science fiction is the most important literature in the history of the world, because it's the history of ideas, the history of our civilization birthing itself. Science fiction is central to everything we've ever done, and people who make fun of science fiction writers don't know what they're talking about. »
Feu Ray Bradbury

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#17 25-05-2014 15:54:56

mbuna
I don't know you

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

- Oh que cette chute est longue ! Oh ! Elle est longue, longue, dit une voix. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir, c'est long, long de tomber.
- Qui est-ce ?
- Je ne sais pas


Je vous propose un cauchemar :

Vous êtes dans une fusée avec quelques uns de vos compagnons. Elle explose et vous voilà éjecté indifféremment comme les autres. Selon le hasard, l'éjection propulsera certains vaguement en direction de la lune, de la Terre, de Mars, et la plupart aux confins de l'espace. Mais voilà, vous, le "héros" aurez l'honneur de flamber dans l'atmosphère terrestre et vos cendres parsèmeront les continents.
Pendant une heure vous allez pouvoir discuter avec vos compagnons d'infortune, en attendant chacun son destin, décidé d'une roulette russe. Vous avez tous les comportements possibles: la résignation, la colère, l'abattement, le moment de régler ses comptes, digne ou mauvais perdant, la philosophie, la folie, le renoncement... et tous vont être témoins de la réalité des autres via leur radio... occasion aussi de se poser la question sur le sens de sa vie et de sa propre mort.


Y'a t'il quelque chose que je pourrais faire maintenant pour balancer ma vie terriblement vide ? Si seulement je pouvais accomplir une bonne action pour contrebalancer toute la saleté que j'ai amassée durant des années et dont j'ignorais la présence en moi... Mais il n'ya plus personne hors moi-même, et comment ferais-je seul le bien ? Demain soir, je me heurterai à l'atmosphère terrestre. Je servirai à quelque chose, un tout petit quelque chose, mais des cendres ce sont des cendres, elles sont un appoint pour le sol.


Ray Bradbury est très connu pour quelques livres qui ont fait date, comme Fahrenheit 451
451.jpg

Néanmoins le cauchemar du début de ce post est l'une des nouvelles de ses débuts. Cet auteur a une originalité assez...originale mdr dans le monde de la SF est qu'il a une suspicion maladive devant la technique, le progrès, la technologie. Vous conviendrez que pour le genre, c'est assez surprenant. D'ailleurs il ne se considérait lui-même pas du tout comme un auteur de SF. Cet ambivalence est très présente dans ses écrits, puisqu'il n'essaie jamais de nous dépeindre vraiment  et de manière rigoureuse  le monde futur, nous décrire un empire comme Asimov ou une histoire du futur comme Heinlein.

Nan, Bradbury parle du rapport de l'humain vis à vis de son entourage, de la société, que cette société soit contemporaine ou dans un avenir le plus souvent assez proche.
Bradbury est en même temps pessimiste dans le sens où il sait bien qu'un homme ne peut rien faire de réellement important lui seul, mais optimiste dans le sens où il peut être maitre de son propre destin. Ou en tous les cas, l'infléchir afin de réussir sa vie..ou sa mort, ou atteindre le bonheur. Et si ce bonheur rejaillit sur les autres, s'il le fait fructifier, alors il aura tout gagné. C'est finalement très individualiste, tout autant qu'humaniste comme vision et cela transperce dans bien de ses nouvelles.


Comment trouver une issue positive au cauchemar du début de mon post ?


Un petit garçon sur une route de campagne regarda le ciel et poussa un cri.
- Regarde, maman, regarde ! Une étoile filante !
- Fais un vœu, dit sa mère. Fais un vœu.


Tout Bradbury est dans cette conclusion douce, amère, poétique, inéluctable, où on peut finalement réussir son dernier acte après une vie si vide de sens... Réussir sa vie, ou réussir sa mort. Et en profiter pour rayonner autour de soi. Le progrès n'est qu'un leurre, l'important est ailleurs et plus que jamais si proche de nous.

ray-bradbury-love-460x723.jpg

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#18 27-05-2014 13:53:41

yrad
admin

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Ah mais je viens de me rendre compte, Mbuna, que ton dernier post était en fait un quizz (déguisé) ! eek
Alors il s'agit évidemment de la superbe nouvelle Kaleidoscope (1949), publié dans le recueil The Illustrated Man (L'homme illustré) (1951).
Bon qu'est-ce que je gagne ? mdr

Quoi qu'il en soit, Mbuna, tu as recouru à un biais fort original – la démonstration par l'exemple – pour rendre magnifiquement justice à l'esprit philosophico-fataliste de cet récit. Bravo. love
D'ailleurs, tiens, c'est (entre autres) un peu de cet esprit que l'on retrouve - contre toute attente - dans la série Stargate: Universe (désolé d'y revenir, mais quand j'ai une idée en tête… tongue)

Ray Bradbury fait partie de mes auteurs de SF favoris (je ne l'aurais pas mis dans ma signature sinon...). Je suis notamment un fan absolu de ses The Martian Chronicles (Chroniques martiennes), et chose rare, autant des nouvelles littéraires que de l'extraordinaire mini-série TV (1980) de Richard Matheson & Michael Anderson. joy


« Science fiction is the most important literature in the history of the world, because it's the history of ideas, the history of our civilization birthing itself. Science fiction is central to everything we've ever done, and people who make fun of science fiction writers don't know what they're talking about. »
Feu Ray Bradbury

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#19 27-05-2014 14:01:39

DrAg0r
Dra'ghoH

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

yrad a écrit :

Je suis notamment un fan absolu de ses The Martian Chronicles (Chroniques martiennes).

Moi aussi ! J'adore notamment sa technique consistant à décrire un univers dans sa chronologie à travers de nouvelles totalement indépendantes. C'est un concept que j'ai personnellement adopté wink

Dernière modification par DrAg0r (27-05-2014 14:02:21)


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#20 27-05-2014 16:31:17

mbuna
I don't know you

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

yrad a écrit :

Ah mais je viens de me rendre compte, Mbuna, que ton dernier post était en fait un quizz (déguisé) ! yikes

Ah y'en a au moins un qui suit mdr
Oui j'avais fait exprès de ne pas donner le titre. En fait j'espérais qu'on me le demande, et puis je trouvais que laisser un brin de mystère allait bien avec cette fin.

yrad a écrit :

Bon qu'est-ce que je gagne ?

T'es tombé dans mon piège : le droit de faire un post sur la vision des robots d'Asimov, et son impact sur la SF depuis les années 50 jusqu'à nos jours. mock

DrAg0r a écrit :

Moi aussi ! J'adore notamment sa technique consistant à décrire un univers dans sa chronologie à travers de nouvelles totalement indépendantes. C'est un concept que j'ai personnellement adopté

Oui les chroniques martiennes, c'est littéralement magnifique... Le style chronique fait que ça se lit en un rien de temps, il est magique cet auteur... C'est poétique, intelligent, très surprenant et ça fait doucement réfléchir tout en faisant rêver. Et comme toujours avec Bradbury : c'est l'homme qui est toujours au centre du truc. smile
Bon, c'est une uchronie ou pas ?

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#21 27-05-2014 19:39:42

yrad
admin

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

mbuna a écrit :

T'es tombé dans mon piège : le droit de faire un post sur la vision des robots d'Asimov, et son impact sur la SF depuis les années 50 jusqu'à nos jours.
mock

roulette
Eh... mais c'est un sujet de thèse que tu me demandes là !!! twisted
Ok, mais à condition d'être payé (et en heures sup bien sûr) pour les 500 heures de boulot que ça va demander. tongue

mbuna a écrit :

Bon, c'est une uchronie ou pas ?

Oui à la seule échelle du sort de la Terre. Mais non dans la globalité (c'est à dire en incluant Mars dans l'équation). Car une uchronie est supposée porter sur une timeline alternative résultant d'une divergence de choix historique. Or je ne vois pas quelle différence historique pourrait expliquer l'écart entre la Mars envoûtante imaginée par Bradbury et la Mars stérile du monde réel. Ou alors, il faudrait faire remonter la "fourche causale" jusqu'à des temps immémoriaux hors du champ décisionnel humain... et à supposer bien sûr que la Mars véritable ait jamais abrité la vie.
The Martian Chronicles représentent davantage l'exploration d'un univers entièrement parallèle... avec toutefois quelques composantes uchroniques.


« Science fiction is the most important literature in the history of the world, because it's the history of ideas, the history of our civilization birthing itself. Science fiction is central to everything we've ever done, and people who make fun of science fiction writers don't know what they're talking about. »
Feu Ray Bradbury

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#22 27-05-2014 21:21:25

dl500
TOS Forever

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

yrad a écrit :

Ray Bradbury fait partie de mes auteurs de SF favoris (je ne l'aurais pas mis dans ma signature sinon...). Je suis notamment un fan absolu de ses The Martian Chronicles (Chroniques martiennes), et chose rare, autant des nouvelles littéraires que de l'extraordinaire mini-série TV (1980) de Richard Matheson & Michael Anderson. joy

Et toujours pas disponible en version intégrale en vidéo.
Est sorti une version remontée et raccourcie...dommage.
J'attends pour pouvoir me la procurer...enfin!


L'être humain a deux vies. La seconde commence quand il se rend compte qu'il n'en n'a qu'une...

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#23 29-05-2014 21:42:36

scorpius
Nowhere Man

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

A mon tour j'ai envie de parler d'un auteur qui me tient particulièrement à coeur : Philip José Farmer

Il ne bénéficie sans doute pas de l'aura des auteurs présentés plus haut par Mbuna, peut être parce que à l'image de l'Univers à l'envers il a eu parfois tendance à s'éloigner de la pure SF pour verser dans le fantastique. Et il reste surtout connu pour son cycle Riverworld (qui néanmoins ne fait pas partie du Golden Age ) pourtant il y a quelque chose dans son travail qui me fascine et me touche au plus au point.

Peut être est-ce son imagerie assez unique ? Je dois le reconnaître plus que l'aspect "stimulation intellectuelle", l'oeuvre de Farmer est avant tout l'une des plus "évasive" qu'il m'ait été donné de découvrir. C'est un véritable voyage, une plongée dans des mondes de science-fiction, à la lisière du fantastique. A l'image de Ose (1965, on est donc à la limite du Golden Age, tu me pardonneras Mbuna) qui tout en prolongeant la trajectoire thématique entamée avec les amants étrangers ( à savoir une SF peut être moins "froide" que celle des ses confrères, portée sur une certaine sensualité assumée et prônant une forme de libération sexuelle jouissive) offre une superbe métaphore du tabou interracial à travers l'histoire d'amour entre Jack & R'Li. Le tout se vivant comme un trip dans un monde étrange peuplé de créatures fantastiques qui pourraient sortir d'une oeuvre de fantasy.

Je n'ai fais que gratter la surface, mais pour résumer  Il y a donc quelque chose à la fois de très pulp et farfelue dans l'approche de Farmer, qui le différencie nettement de la plupart des autres auteurs du Golden Age. Une SF qui vise le coeur et les tripes, plus que le cerveau.

Dernière modification par scorpius (29-05-2014 23:20:23)

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#24 13-11-2014 15:30:51

mbuna
I don't know you

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Après quelques mois d’absence, je reviens sur ce fil avec l’un des auteurs tout en haut de mon panthéon personnel : Arthur C Clarke.

Arthur-C-Clarke.png

Bon bon bon… je vais commencer de manière académique, mais j'ai mes raisons p

Car voilà un auteur connu et reconnu du grand public, pour plusieurs choses qui l’ont fait passer à la postérité.

En tant qu’auteur :
-    2001, l’Odyssée de l’Espace, pour le film qu’on ne présente plus
-    Les fontaines du Paradis, bouquin dans lequel il popularise l’idée de l’ascenseur spatial
-    et tout plein d’autres mdr

En tant que contributeur scientifique :
-    Le concept de satellite géostationnaire, évidemment très utilisé aujourd’hui et connu aussi sous les noms de ceinture de Clarke ou orbite de Clarke
-    contribution à l’élaboration d’un système radar décisif dans la bataille d’Angleterre
-    Et quelques autres aussi tongue

Désolé de cette intro un peu pompeuse, mais avant de vous décrire ce que j’apprécie par-dessus tout dans cet auteur, il me semble intéressant de savoir à qui nous avons à faire, car pour le coup, cela éclaire son œuvre à bien des égards. En effet, le truc est surtout de savoir qu’on a à faire ici à quelqu’un d’extrêmement intelligent, un passionné, un inventeur et un scientifique.
Il a aussi théorisé sur la Science fiction, pensé et s’est beaucoup exprimé sur les sujets qui l’occupaient.

On lui doit par exemple 3 lois bien connues (appelées les 3 lois de Clarke) et largement commentées :
-    Quand un savant distingué mais vieillissant estime que quelque chose est possible, il a presque certainement raison, mais lorsqu'il déclare que quelque chose est impossible, il a très probablement tort.
-    La seule façon de découvrir les limites du possible, c'est de s'aventurer un peu au-delà, dans l'impossible.
-    Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie <- début d'essai de définition de la SF


Alors en quoi cette approche est-elle éclairante sur son œuvre ?

Eh bien pour vous montrer qu’on a en face de nous quelqu’un dont la rigueur scientifique va transpirer dans ses écrits, et cette rigueur va de pair avec l’objectivité, voir la neutralité qui pour lui est un postulat, une condition obligatoire lorsqu’il raconte une histoire.
Cette distanciation a une conséquence étonnante : il n’y a pas de héros chez Clarke, les personnages sont décrits comme ils sont, sans emphase, et surtout sans jugement. Ce qui fait que le lecteur a une liberté totale de personnification à tel ou tel personnage, on a le droit de se reconnaitre dans une action menée, quelle qu’elle soit, et se demander ce qu’il va bien pouvoir advenir de nous dans le roman.
Il en va de même d’ailleurs pour le déroulement des intrigues. Clarke n’essaie pas de faire monter savamment un suspens, à coup d’accélérations et de période de calme. Non, si l’histoire a besoin de 100 pages tranquilles pour faire ressentir une émotion ou une particularité, alors il les écrira, peu importe s’il perd la moitié de ses lecteurs en chemin mdr
Tout simplement car tout comme la description de ses personnages, celle des actions est exposée de manière objective et neutre.

Pour bien me faire comprendre, je vais vous citer une toute petite partie de l’excellent livre « le marteau de Dieu » ; ce sont 2 pages tout à fait anecdotiques, mais que j’aime beaucoup, et très lourdes de sens dans la description du personnage principal.
On y va :

Clarke a écrit :

Comme ses parents l’avaient programmé, Tony Carroll Singh naquit en Arizona. Robert continua de travailler sur la navette et fut promu au rang d’ingénieur en chef ; il refusa même une possibilité d’aller sur Mars car il ne voulait pas s’éloigner de son bébé de fils pendant des mois.

Freyda demeura sur Terre, quittant en fait rarement la communauté américaine. Elle avait renoncé aux sorties sur le terrain, ce qui ne l’empêchait nullement de poursuivre ses recherches avec passion, dans le confort de sa maison, grâce aux banques de données et aux images satellite. Les algorithmes et les images de synthèse avaient remplacé les marteaux, la géologie n’était plus le domaine réservé des machos aux gros bras.
Lorsque Tony eut 3 ans, ses parents décidèrent que la compagnie de robots jouets ne pouvait plus lui suffire. Leur choix se porta sans hésiter sur un chien et ils s’apprêtaient à acquérir un super-scottie (QI canin garanti de 120) lorsque les 1ers minitigres apparurent sur le marché. Ce fut le coup de foudre.

De tous les grands félins, et peut-être de tous les mammifères, le tigre du Bengale est le plus beau. Au début du XXIème siècle, l’espèce avait disparu à l’état sauvage, et son habitat lui-même ne lui survécut guère. Mais plusieurs centaines de ces superbes créatures menaient des vies de pacha dans des zoos ou des réserves. Même si tous avaient disparu, leurs gènes, soigneusement conservées, auraient permis de les recréer sans trop de difficultés.

Tigrette était un pur produit de ces manipulations génétiques. Elle possédait apparemment tous les attributs de sa race, mais son poids à l’âge adulte ne dépasserait jamais les trente kilos. Son caractère aussi avait fait l’objet de soins attentifs : c »tait une grosse chatte câline, douce et joueuse. Robert ne se lassait jamais de la regarder renifler les petits robots qui faisaient le ménage ; elle se méfiait manifestement de ces animaux dont elle ne parvenait pas à retrouver l’odeur dans sa mémoire. Les robots, quant à eux, en restaient tout perplexes. Il leur arrivait, quand elle somnolait pendant la sieste, de la prendre pour un tapis et d’essayer de l’aspirer, à la grande joie de tous. Toutefois, cela ne se produisait pas souvent, car le minitigre dormait en général dans le lit de Tony. Freyda, pour des raisons d’hygiène, s’y était opposée jusqu’au jour où elle s’était rendu compte que le félin consacrait beaucoup plus de temps à sa toilette que le gamin, qui n’utilisait eau et savon qu’avec parcimonie. Si quelqu’un devait être contaminé, ce ne serait pas l’enfant.

A peine plus petite qu’un gros chat domestique, Tigrette ne tarda guère à régner en maitresse dans la maisonnée et Robert se plaignit bientôt, avec quelque amertume, que son fils ne remarquait plus ses absences.
L’arrivée de l’animal provoqua peut-être un autre changement. Le continent de ses ancêtres avait toujours fasciné Freyda, au point qu’elle conservait comme une relique un vieil exemplaire corné et jauni du livre d’Alex Haley Racines.

-    En plus, disait-elle, il n’y a jamais eu de tigres en Afrique. Il est temps que cela change.

Dans l’ensemble leur nouveau lieu de résidence leur plaisait, malgré les horribles traces du passé qui surgissaient parfois. Un jour Tony, en creusant sur la plage, déterra le squelette d’un enfant serrant encore une poupée dans ses bras. Pendant longtemps il se réveilla la nuit en hurlant et rien, pas même Tigrette, ne pouvait le consoler.
Le dixième anniversaire de Tony, célébré dans les formes, marqua pour Robert et Freyda la fin de la première phase de leurs relations. Tous deux se rendirent compte que la nouveauté, sans parler de la passion, s’effilochait depuis longtemps. Ils n’étaient plus que de bons amis restant ensemble par habitude. L’un comme l’autre avaient eu des aventures sans éveiller de jalousie excessive. A plusieurs reprises ils avaient essayé l’amour en triplette, et même une fois à quatre. Mais, malgré la bonne volonté de tous, le résultat s’était révélé plus comique qu’érotique.

La rupture définitive n’eut rien à voir avec les rapports humains. Pourquoi, se demandait souvent Robert, pourquoi donnons-nous notre cœur à des amis dont la vie est tellement plus courte que la nôtre ?
Depuis longtemps l’avancée de la jungle devait avoir dévoré la plaque de métal portant l’inscription :

A TIGRETTE
Ici reposent à jamais la beauté,
la force et la loyauté.

Tous ces évènements lui paraissaient appartenir à une autre vie, et pourtant jamais Robert Singh n’oublierait comment s’est achevée l’enfance de son fils : Tony serrait son amie dans ses bras et lentement, le regard plein d’amour de Tigrette s’était éteint.

Le moment de partir était venu.

Attention, questions et commentaire de texte mdr

Qui est le personnage principal ? La maman ? Le papa ? Le fils ? Impossible de savoir à ce stade, tout simplement par ce que lorsque Clarke nous décrit une situation, sa neutralité l’oblige à ne pas déterminer lui-même ce qui est important de ce qui ne l’est pas. C’est au lecteur de le faire, c’est-à-dire vous. Le génie de Clarke est exactement là. Chacun va ressentir ses histoires de manière différente, c’est tout ce qui en fait le plaisir.

Pour la réponse, le personnage principal, c’est le papa, et les infos importantes…. Alors là y’en a pas mal. Peut-être que la principale est qu'il n’a pu réaliser son désir d’aller sur Mars assez tôt, ce qui est un trait historique très important pour la suite du roman.

L’écriture de Clarke est d’une précision et d’une rigueur qui fait du bien au cerveau, car aucun pathos, aucun accompagnement dans l’émotion, et pourtant tant de cœurs exprimés… cette grande distanciation dans l’écriture permet ainsi à chacun des lecteurs de prendre les choses qu’il nous donne et vivre librement ses émotions. Clarke, c’est aucune triche.
Par exemple dans ce petit texte que vous avez lu (j’espère tongue), Clarke a détourné notre attention sur Tigrette, il en a fait le support pour faire passer tout plein de messages de manière presque subliminale, dont l’importance SF, de description sociologique, ou d’intrigue sont divers et variés. A chacun de faire le tri, d’oublier certaines choses et d’en favoriser d’autres dans la mécanique du roman.

Cet auteur de SF a eu un apport considérable pour prendre ce genre au sérieux, puisque les critiques littéraires avaient à faire avec une personne d’une intelligence rare, d’un haut niveau de culture, d’une renommée historique importante (comme dit plus haut pour son apport dans un moment clé de la 2ème guerre...).
Ainsi, fallait avoir des arguments assez lourds derrière soi pour dénigrer l’auteur du point de vue littéraire avec tous les poncifs liés à la SF. Ses grandes capacités ont fait de lui un visionnaire notamment sur le plan scientifique pour tout ce que peut apporter la SF, et un humaniste comme corollaire de sa démarche neutre et relativiste.

Je ne vais pas vous présenter de livre pour l’instant, car j'y reviendra peut-être dans d'autres posts, sauf peut-être celui dont a été issu le petit texte  : le marteau de Dieu. C’est l’un de mes bouquins préférés, car il se situe à son apogée, maniant un discours SF et sociétal avec brio. Clarke est un auteur qui demande beaucoup à ses lecteurs, notamment de l’intelligence. Ce n’est pas de l’élitisme, mais plutôt une marque supplémentaire de la neutralité qui le caractérise : il ne considère pas avoir plus de connaissance ni de cœur que vous, qui serait-il pour vous dire quand et à quoi réfléchir, où pleurer, quand avoir une émotion, et de quelle nature ?

Clarke est un auteur qui a contribué à donner une aura et une distinction à ce genre qui en manquait beaucoup... Son écriture inattaquable, d'une très grande élégance et intemporelle fait du bien, avec lui je n'ai que des ondes positives et j'ai l'impression de devenir intelligent, tout simplement par ce qu'il ne me prend jamais pour un con.

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#25 23-11-2014 20:00:38

mbuna
I don't know you

Re : L'âge d'or de la Science-fiction : à consommer sans modération

Pour ceux et celles qui ont vu Interstellar (moi ce week-end), forcément la filiation graphique des robots du film avec le monolithe (ainsi peut-être que TARS -> HAL) a du sonner comme un hommage. Je ne sais pas du tout ce que Nolan a dit la dessus.

Mais surtout, la fin du film où l'on voit le vaisseau en orbite de Saturne... Le concept de ce type de vaisseau a été souvent utilisé en SF (cylindres O'Neill), notamment dans l'un des cycles les plus connus de Clarke : RAMA.
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